Samedi soir 9 août 2003, demain c'est le grand jour, je vais me faire l'Aiguille Verte de Chamonix, avec respect certe mais je vais me la faire. L'" alerte météo grands vols" est maintenu, pourvue qu'elle ne change pas. La pression est telle, que le bivouac à Argentière se résume à un sommeil en pointillé. Au petit matin, un peu cabossé d'avoir roulé toute la nuit sur un sol dur comme de la pierre, j'entreprend une ballade en direction du Lac Blanc en attendant l'heure fatidique de la montée. Sept heures à attendre avant de prendre le téléphérique (17.30€ l'aller simple). La montée depuis le col des Montets est agréable dans la fraîcheur matinale. A chaque détour du chemin, je surveille les nuages d'altitudes, leurs apparitions précoces pourraient compromettre mon projet. Finalement, le ciel reste au bleu, à 13h30 j'embarque vers les sommets et le glacier des grands Montets à 3300 m. Devant ce spectacle minéral ou tout semble en équilibre précaire, la pression monte d'un cran, l'air est étrangement calme, les parois granitiques dans l'ombre contrastent avec les glaciers environnants et pas un seul parapentiste pour me montrer le chemin du décollage, il est peut-être un peu tôt. Je fais le tour des plate-formes panoramiques pour prendre quelques photos de ce paysage majestueux. Des alpinistes montent de la vallée par le glacier des Rognons, tandis que d'autres descendent de la petite Aiguille Verte et c'est au passage de la rimaie, que d'énormes blocs de pierre se détachent de la crête, frôle leur position et finissent sur le glacier dans un vacarme impressionnant.
14h30, la benne déverse enfin des pilotes que je ne quitte pas des yeux, il s'agit essentiellement de professionnels qui pour 180 € vont offrir à leur passager, le plus beau vol commercial que je connaisse. Après quelques sauts hésitants par dessus des crevasses, je rejoins le décollage qui se situe à 300 m en contrebas sur la langue du glacier et là, j'attends, comme tous les pilotes d'ailleurs, nous attendons qu'une légère brise montante se décide à venir réveiller les flammes de service et donner le signal du départ. Le coup d'envoi est donné à 15h avec l'envol du premier pilote, la montée commence dans des thermiques calmes qui vous emmènent le long des crêtes déchiquetées. Dans cette aérologie sécurisante, la prudence laisse place au plaisir et c'est avec grande émotion que je me ballade le long de ces arrêtes en pensant à mes 20 ans quand, jeune alpiniste, je regardais respectueusement ces aiguilles réputées inaccessibles et aujourd'hui à portée de ma main. Même la Madone des Drus n'en revient pas. Et puis vient la grande récompense, la cerise sur le gâteau avec le passage du sommet à 4122 m et la montée sous le nuage à 4300 m. Mon APN** ne laisse rien passer de ce vol que je considère le plus beau de ma vie. Le froid sonne la retraite et le retour sur Chamonix se fait une altitude déraisonnable, je me fais même tirer par un nuage d'altitude en formation rapide et je doit faire les oreilles pour redescendre. De retour sur Annecy, je contemples la dizaine de photos prises pendant ce vol avec un goût de trop peu et le mardi, après avoir eu confirmation du maintien de l'alerte grand vol je retourne voir la Madone en prenant bien soin de m'équiper pour l'hiver avec le plein de photos et un plafond catapulté à 4900m sous un nuage. Robert BREDA
** APN : Appareil Photo Numérique.
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Photos prises avec un APN CANON Power Shoot G5
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